SE DEFAIRE DE SES AFFAIRES

SE DEFAIRE DE SES AFFAIRES

GERER L’ATTACHEMENT A SES OBJETS QUAND ON DEMENAGE

Les petites choses de notre vie sont parfois ces objets matériels qu’on accumule, qu’on garde précieusement ou que parfois nous négligeons tant ils font partie de notre quotidien. Pourtant quand vient le temps d’un grand déménagement, ces objets sont repensés, réévalués, réappropriés ou relégués au passé. Comment gérer ces petits riens qui représentent tant pour nous ? Que représentent-ils d’ailleurs exactement ? Pourquoi déménager est considéré comme un évènement relativement traumatisant quand nous devons nous défaire de nos affaires ?

Déménager c’est changer

Le déménagement représente une sorte de cataclysme individuel qui nous touche dans notre relation à l’espace. C’est quitter un endroit rempli de souvenirs, avec l’ambition de reconstruire une familiarité dans un ailleurs. Un travail de fourmi y est souvent associé, celui de trier, choisir, jeter, garder ou donner. Une valeur personnelle est alors apposée à ce qui nous appartient, allant de l’indispensable au superflu. « Une certaine confusion peut accompagner ce travail émotionnel d’appréciation et de hiérarchisation des biens, labélisés comme essentiels, à conserver, à reléguer ou à délaisser. Le futur migrant peut se retrouver saturé par tant d’affects et de souvenirs qu’il lui est alors difficile de différentier l’utile du futile. » (« Réussir sa vie d’expat », éditions Eyrolles)

En quittant ma grande maison californienne de 400 mètres carrés pour aller m’installer dans un petit deux pièces du New Jersey, il a fallu sérieusement trier toutes mes affaires. Douze années de vie californienne ont défilé devant moi, avec notamment les affaires que nous avions ramenées de France ou bien celles qui appartenaient à mes enfants aujourd’hui adolescents, que ce soit les souvenirs de toutes leurs années d’école, leurs créations enfantines ou leurs vêtements de nourrisson. Il a également fallu sélectionner les tableaux, les souvenirs de vacances cumulés ou les nombreux livres débordant des bibliothèques. Vu la réduction de mon espace de vie, je ne pouvais que garder l’essentiel. J’ai du décider ce que je conservais et ce à quoi je renonçais, ce qui serait encore présent dans ma vie future et ce qui demeurait de l’ordre du passé. Empreinte de nostalgie, de souvenirs heureux ou plus douloureux, entre sourires et larmes, portée par l’espoir d’un avenir agréable et les regrets d’un passé achevé, j’ai fait mes cartons en me délestant d’autant d’insignifiant.

Déménager n’est donc pas uniquement un acte rationnel touchant nos possessions matérielles. C’est avant tout un processus subjectif où l’émotionnel peut envahir la pensée logique. A travers l’évaluation symbolique de chaque objet on y rattache une valeur sentimentale et une histoire personnelle. L’objet auquel on tient a ceci de précieux qu’il est une clé ouvrant la porte de la mémoire. Les souvenirs se matérialisent et sont projetés sur du palpable. L’intime confus devient tangible. Le temps qui passe n’est plus caduc. Les réminiscences persistent aujourd’hui à travers un objet symbolisant ce temps d’avant.

Nous quittons non seulement des objets mais également une habitation, des voisins, des amis, un quotidien et une partie de notre histoire personnelle et familiale. C’est l’école des enfants qu’on laisse, mais aussi les endroits où nous avions nos habitudes. Ce sont les parcs où nous aimions nous retrouver, les magasins où nous faisions nos courses, les restaurants où nous aimions partager du convivial entre amis. En laissant ce qui constituait nos repères et notre cadre de vie, on quitte un cocon formant une enveloppe rassurante pour un ailleurs non maîtrisé et source d’inquiétude. Il s’agit de quitter le sûr pour de l’incertain, le confortable pour du transitoire, le connu pour de l’étrangeté. On craint de perdre ce qu’on maitrise pour affronter un inconnu sur lequel il n’y a pas encore d’emprise. Pourtant, c’est aussi dans la possibilité de décider et de se positionner sur ce qu’on emporte avec soi qu’on reprend un certain pouvoir sur son environnement. Faire ses cartons, aussi douloureuse soit la démarche, c’est aussi une façon de maîtriser sa vie, en décidant en pleine conscience ce à quoi nous sommes encore attaché et ce quoi nous sommes prêt à renoncer.

Déménager c’est renoncer

De façon générale, certaines personnes arrivent plus facilement à se débarrasser de certaines affaires, d’autres non. En fonction de notre capacité à gérer cette faculté de jeter, l’épuration sera plus ou moins ardue. Ceux qui ont tendance à amasser pourront se sentir submergés par cette tâche. Poussé à l’extrême, les individus atteints d’accumulation compulsive peuvent même ressentir une profonde anxiété. Est ce que l’objet nous représente ou bien nous définit-il ? On peut s’interroger si l’attachement poussé à l’extrême, ne devient pas pour certains une raison d’être ; « je suis ce que je possède ». L’avoir ne surpasse-t-il pas alors l’être ? Renoncer ne signifie-t-il pas sacrifier une partie de soi ?

Renoncer à certains objets signifie en effet être capable de lâcher prise sur les choses. C’est également ne pas sur-investir la valeur symbolique de l’objet mais intégrer en soi la valeur affective qu’il représente. Souvent d’ailleurs, l’objet rassure. On se justifie parfois en pensant que l’objet pourrait s’avérer utile un jour, et c’est ce qui le rend à fortiori nécessaire voire indispensable. Une soumission à son éventuelle fonction future asservit pourtant l’individu et freine la possibilité de s’en défaire. Le « on ne sait jamais, un jour j’en aurai peut-être besoin » apporte une réponse rationnelle à une crainte qui, elle, ne l’est pas toujours. De la même façon que l’enfant investit l’objet transitionnel pour affronter l’angoisse d’abandon, l’adulte s’attache parfois aux choses pour se rassurer. Certains objets possèdent de façon plus aigue encore cette notion d’obligation. On se sent obligé de les garder pour de multiples raisons comme leur provenance (c’est un cadeau ou bien il a nous été offert par une personne spécifique) ou leur pouvoir particulier (comme un porte-bonheur). Une sorte de dette émotionnelle y semble alors associée.

D’autres objets parlent de nous, de qui nous sommes, d’où nous provenons et de ce que nous aimons. Ils nous représentent et nous décrivent. Nous sommes ainsi aussi ce que nous avons. A travers notre style, nos objets décoratifs, nos vêtements ou nos meubles, nous revendiquons notre culture, notre personnalité, nos goûts. En déménageant nous devons alors décider ce que nous souhaitons conserver de cette identité visuelle. Or, en évoluant, ce qui nous représentait un moment n’est parfois plus d’actualité. D’autres objets viennent au contraire affirmer ce que nous sommes devenus aujourd’hui.

« …la maison du nomade témoigne des traces laissées par l’inter culturalité. Bien souvent, les souvenirs d’expatriation y sont présents comme des rappels affectifs explicites. Des posters, des collections ou bien des objets ethniques constituent une évidence que la vie à l’étranger fait dorénavant partie de l’identité familiale. » (« Réussir sa vie d’expat » Editions Eyrolles)

J’ai ramené du Chili une collection de tasses à café artisanales qui me sont très chères. Elles représentent mon origine familiale, ma culture héritée, une partie de qui je suis. Ces tasses à café ont une valeur importante pour moi, que je partage avec ceux qui viennent boire un café chez moi. Je possède également un canapé lit que j’ai eu lors de mes années étudiantes et qui m’a suivie pendant 20 ans et 8 déménagements. C’est un clic clac qui ne vaut financièrement strictement plus rien, qui est dorénavant tout abimé et que je garde presque honteusement à l’abri du regard. Malgré l’absurdité de sa raison d’être aujourd’hui, j’y suis encore attachée et je n’arrive toujours pas à m’en défaire.

Déménager c’est se libérer

On laisse certaines choses, on quitte certains endroits, on renonce à une partie de ses acquis qui n’ont plus autant de sens afin d’avoir de la place pour accueillir du nouveau, du différent et de l’actuel. On se recrée un espace à soi en intégrant une transformation. De cette façon, il devient possible de faire du nouveau avec en partie de l’ancien, et du familier avec du changement partiel. On peut alors profiter de l’opportunité offerte par ce déménagement pour se débarrasser du superflu afin de ne garder que l’essentiel. Un grand ménage est fait qui clarifie l’espace. On se libère de ce qui embarrasse. On y voit plus clair en soi et autour de soi. On est alors prêt à affronter l’avenir, allégé d’un passé qui n’est plus omniprésent.

En dépit du coût émotionnel de ce tri, le bénéfice est donc multiple. Il y a celui de retrouver la valeur réelle des choses qui nous entourent. Ces objets appréciés faisant partie de notre environnement, qu’on ne voyait parfois plus, reprennent alors de leur éclat. On se libère de ceux qui n’en ont plus. Quand vient le temps d’ouvrir ses cartons, on y redécouvre la valeur symbolique de ce qui a été gardé. Quel bonheur de retrouver ces objets auxquels on tient et quel plaisir de leur redonner une place dans notre nouvel espace de vie. On ressent parfois l’excitation rappelant la veille de noël quand le camion de déménagement arrive enfin. Le soulagement est là. Nous récupérons nos affaires comme si nous retrouvions une partie de nous-mêmes. Quand j’accroche au mur mes toiles, je me réapproprie mon cadre de vie. Ces tableaux, peints par mon père ou peints par moi, font partie de mon histoire. Leur trouver le meilleur emplacement dans mon foyer me permet de me sentir réellement chez moi, de m’approprier ces nouveaux lieux. C’est avec une sorte d’apaisement que je constate que tout trouve parfaitement sa place dans mon nouvel espace. Avec la clarification de mon espace, en ayant fait le vide, je suis alors prête à accueillir du nouveau. Le plaisir associé à l’achat de nouveaux objets est à nouveau possible… jusqu’au prochain déménagement.

Les choses de notre vie sont parfois des objets qui envahissent. A l’inverse, parfois, ce sont des objets qui nous rassurent et nous font du bien. Ces petites choses qui ne sont pas grand chose, ces petits riens, représentent donc tant pour soi. Elles parlent de nous, de notre histoire, de ce que nous aimons et de ceux qui nous aiment. Quand vient le temps du déménagement, on peut retrouver plus d’harmonie et de cohérence dans notre relation aux objets qui nous comblent, en se détachant de ceux qui nous encombrent.

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