Imaginez un endroit sur terre regroupant le cœur de l’innovation technologique, avec les nouveautés les plus incroyables qui rayonneront instantanément sur une étendue planétaire… Mettez au nord de beaux vignobles au climat méditerranéen et des restaurants pour assouvir les papilles gustatives des gastronomes fortunés. Au sud, des fermes dans des vallées ensoleillées et des hippies bohêmes soucieux de l’avenir de la planète. A l’est, une baie avec un port maritime rappelant à quoi ressemble la misère humaine et qui tient à distance de ponts gigantesques la criminalité venue de quartiers défavorisés. A l’ouest, des surfeurs bronzés, les cheveux sentant bon le sable chaud et le sourire ravageur aux lèvres, à l’affut de la prochaine vague. Et question vague, dans cette Silicon Valley enclavée, on s’y connaît ! Ici nait tout ce qui fait légion dans le monde sur le plan des gadgets hi-tech. Les nouveaux téléphones, ordinateurs ou tablettes y voient le jour régulièrement, démodant aussitôt ce qui était encore au top la veille. Les nouvelles « apps » que tout le monde s’arrache naissent depuis les repères d’informaticiens à l’allure d’éternels adolescents. D’ailleurs, tangible et potentiel se croisent de façon permanente ici. Les inventions les plus farfelues rendent l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle et les relations sociales entoilées, créant de nouveaux modes d’interactions entre les individus. Les grandes tendances du monde moderne naissent ici. Sous le diktat d’internet et des grandes entreprises technologiques locales, les notions de temps et d’espace ont été abolies à peu près dans tous les continents. Tout est accessible, malgré la distance. Etre disponible n’est plus qu’une question de clic sur un écran, quelque soit l’éloignement géographique ou les fuseaux horaires. Les migrations internationales ne signifient plus partir vraiment ailleurs. On reste toujours en lien avec des proches qui sont paradoxalement loin, toujours connectés à l’actualité du monde sous réserve de wifi accessible. La Silicon Valley est à la technologie ce que Paris est à la mode ; l’endroit dicte ce qui est au goût du jour que ce soit dans le luxe, comme les voitures électriques, ou le prêt à porter électronique comme les gadgets téléphoniques, devenus des indispensables pour être dans le vent de la technologie de pointe.
Gotham City des temps modernes
La Silicon Valley est donc l’une des régions les plus avant-gardistes au niveau des sciences et des inventions, et pourtant on y ressent quelque chose d’un peu puéril. Ici, c’est la région des gentils comme dans les bandes dessinées de notre enfance. On y est du bon côté de la force. Google proclamait d’ailleurs un flamboyant « Don’t be evil » (que l’on peut traduire par « ne soyez pas malveillants »). C’est un Gotham City d’un genre nouveau, en bordure d’un pacifique qui porte bien son nom. Des super-héros veillent à faire régner le bien contre le mal. Ils sont à l’affut, ils anticipent les risques de crise et créent constamment les nouveaux indispensables du monde moderne. Ces sauveurs de l’humanité sont les Alpha Geeks, doués de supers pouvoirs logiques et informatiques. Ils codent les programmes et décodent les règles de la société contemporaine. Ce sont des experts venus de tous les continents, technoïdes passionnés, regroupés dans un même espace, geeks et nerds les plus compétents à la conquête du monde. Êtres à part au pouvoir intellectuel surdéveloppé, ils parlent leur propre langage codifié provenant de C, C++, Java ou de Go et possèdent une pensée binaire leur permettant d’être à l’affut du vrai et du faux, du bug à corriger, du nouveau programme à concevoir. Le gotha de Gotham City représente ces justiciers des temps modernes, portant le hoodie, célèbre veste à capuche, comme une cape de super-héro, au volant de leur Porsche à l’allure de bat-mobile. L’Alpha Geek tient sa revanche sur le monde. Le nerd du Gotham City californien est devenu le plus branché entre tous. Pourtant naguère ces asociaux rêveurs préféraient parler aux machines plutôt qu’à leur congénère, jouer à des jeux vidéo plutôt qu’intégrer des sports d’équipes. Ils sont depuis devenus les porte-paroles d’un monde hyper connecté, au point de devenir parfois des idoles.
L’antre des super-héros super intelligents
Parmi eux, se distinguent les meilleurs, ceux qui incarnent les véritables modèles de réussite. Ce sont les héros de nos super-héros. Bill Gates, Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Larry Page ou Sergey Brin sont les incarnations vivantes des intrépides Spiderman, Batman, Iron Man ou même le monstre vert Hulk. Ingénieurs émérites, ces surdoués de la technologie ont créé leur super pouvoirs un peu fortuitement, beaucoup scientifiquement, en s’appuyant sur des compétences intellectuelles uniques. Comme tous ces super-héros, ce sont des génies des sciences appliquées, de la physique-chimie, des maths et de la mécanique qui ont développé leur force surnaturelle de leur talent scientifique hors du commun. Mais pas uniquement. Spiderman a aussi développé ses supers pouvoirs d’agilité de son complexe d’infériorité. Adolescent brimé socialement, moqué par les autres, il a tout appris par lui-même et a crée sa revanche sur la société en devenant le héro qui la protège. Ce qui pouvait s’apparenter à de la faiblesse de matheux introvertis asocial a aussi conduit de nombreux Alpha Geeks à produire des armes étonnement puissantes. Et c’est paradoxalement le monde de prédilection des extravertis qui leur permet de régner dans le monde à travers les nouvelles formes de communication et les réseaux sociaux. Batman est quant à lui un héritier fortuné et traumatisé qui s’appuie sur ses grandes capacités intellectuelles et ses connaissances scientifiques pour combattre l’injustice. Iron Man est aussi une grande fortune et un ingénieur extrêmement compétent qui a inventé son armure pour se protéger des forces ennemies. Ils manient ainsi science et business. Ce sont des ingénieurs à la tête de grands empires, ce qui corrobore le dicton de Spiderman « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Le sixième points des dix commandements philosophiques de la culture d’entreprise de Google illustre d’ailleurs cette devise : « Il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable ».
Des dangers et des villains à combattre
Dans ce Gotham City des temps modernes, avoir de l’argent est bien utile. En effet, pour intégrer le Poudlard de la Silicon Valley il est nécessaire de faire partie de l’élite tant intellectuelle que financière. La ville universitaire de Stanford n’accepte que les prétendants au titre de futur super-héro ayant une tête aussi bien pleine que leur porte monnaie. Les Alphas Geeks en puissance pourront y aiguiser leurs supers pouvoirs, avec comme ambition suprême de concevoir la prochaine start-up qui dominera à son tour le monde, pour le plus grand bonheur des forces financières. Mais attention, deux dangers en particulier existent qui pourraient tout décimer. L’un est un danger naturel, l’autre est artificiel, émanant de l’esprit complexe humain. On attend le big one comme on s’attend au grand krach. Le tremblement de terre dévastant Gotham City peut surgir des antres de la terre ou des centres boursiers. A Gotham City, on trouve également quelques « villains » que sont les pirates informatiques, bien que ces hackers soient une combinaison à la fois de Robin des Bois et de Jack Sparrow, à mi-chemin entre le bien et le mal, l’utile et le futile, des héros un peu escrocs. En réalité ici, le bien cherche surtout le fructueux, le mieux flirte avec le toujours plus… au risque de générer quelques frustrations et de nombreuses désillusions. Navigant de start-up en start-up, à la quête de la prochaine IPO, nos Alpha geeks s’égarent parfois dans une perte de sens existentiel et deviennent vite insatiables. Ils oeuvrent pour le bien de tous mais fantasment davantage le plus souvent pour une réussite plus personnelle. Ils s’épuisent et s’usent dans une certaine vanité et la recherche obsessionnelle de la réussite.
Et si l’arme secrète était dans l’intelligence émotionnelle et la sensibilité ?
Peu de super héros féminins existent à Gotham City et certaines d’entre elles ont plutôt brillé pour avoir conduit à l’échec quelques empires yahooesques… Quelle place existe pour la femme et son intelligence émotionnelle dans ce monde solidement logique et masculin ? Quand la virilité provient du muscle dopé d’une tête toute arithmétique, quel espace accorder à la sensibilité féminine parfois plus irrationnelle ? Si business et technologie sont les deux mamelles de la Silicon Valley il doit bien y avoir aussi une place pour une représentation plus maternante du succès qui s’y déploie, non ? L’énergie féminine comporte en effet des qualités de compassion, d’empathie, de tendresse, de sensibilité et de soin. Les sept attributs du « féminin sacré » seraient en outre l’intériorité, l’amour, l’harmonie, l’intuition, la sagesse, l’ordre et la collaboration. La créativité en est un des langages les plus éloquent. Comment innover constamment sans faire appel à une ressource un peu plus féminine de questionnement intérieur intuitif ? C’est d’ailleurs à travers une dimension un peu plus spirituelle de la vie qu’on voit apparaître dans ce Gotham City des préoccupations plus humanistes et écologiques, où certains super-héros ont décidé d’accorder une place plus importante au bien-être et à l’épanouissement personnel des employés. Tout n’est pas toujours que pouvoir et rigueur scientifique. Même si Hulk a du mal à canaliser ses émotions, sa force provient aussi de ses émois colériques qui lui permettent de combattre l’injustice. On assiste alors à la rencontre du fantasme d’un physique hyper testostéronisé avec une affectivité plus vulnérable.
La Silicon Valley pose la question du succès dans ce monde moderne et du message planétaire qui est véhiculé. Pouvoir, fortune, réussite et gloire sont les devises de Gotham City. Mais à trop courir après le succès commercial les Alpha Geeks ne risquent-ils pas de saboter eux-mêmes l’énergie créatrice qui devrait les animer ? Et si à force de se concentrer sur des lendemains glorieux ils en oubliaient parfois d’apprécier l’instant présent et la jouissance de l’acquis ? Et si le mal dont lutte certains de ces Alpha Geeks ne serait pas plutôt leur propre péché venu des capitaux ? Entre orgueil, avarice, envie, colère, luxure, paresse et gourmandise, la véritable force de nos super-héros des temps modernes ne serait-il pas plutôt dans l’altruisme, la tempérance et la pleine conscience ? Et si la quête de l’ultra technologique ne nous faisait pas oublier des valeurs plus simples, humaines et naturelles ? Et si les Alpha Geeks de Gotham City ne devaient pas au bout du compte se reconnecter à leur propre vulnérabilité pour devenir de vrais super héros de la Silicon Valley ?